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Eden avait le sourire aux lèvres. Sa rentrée s’était bien passée, et c’était à cette occasion qu’elle avait pu constater le chemin parcouru depuis qu’elle avait quitté son peuple pour la toute première fois, l’année précédente. A sa plus grande surprise, elle avait manqué à plusieurs personnes au sein du château, plus qu’elle n’aurait pu le penser. Une véritable et agréable révélation pour la jeune femme toujours trop discrète et persuadée de ne jamais en faire assez, malgré sa grande implication dans la vie des autres. Sans nul doute, elle avait fait de grandes avancées et de grands progrès, tout au long de cette année, et il apparaissait comme une évidence qu’elle allait poursuivre dans cette voie.
Mais sa plus grande victoire restait le lien qu’elle avait tissé avec Gabriel Dawson. Gabriel était son cousin éloigné. Très éloigné. Des générations étaient passées entre eux, et ce terme n’était même plus vraiment d’actualité, au vu de toutes ces années, et du drame qui liait leurs deux branches. Mais outre cela, il était surtout son meilleur ami. Bien sûr, elle n’en avait pas parlé à ses parents, elle n’était pas stupide, et elle savait aussi qu’un ultimatum de plus en plus important se dessinait dans son avenir. Mais pour l’heure, elle avait tout simplement décidé de ne pas se tracasser et de profiter du temps qui lui était imparti.

Gabriel était porteur de la malédiction de Linaëwen. Une malédiction lancée par le peuple des sirènes, des centaines d’années auparavant, sur un membre de la famille royale qui avait brisé les traditions en tombant amoureuse d’un humain. Bannie de son peuple et de son trône, une branche annexe aux sirènes se créa, absolument insupportable pour la branche originale, le véritable peuple des sirènes. Le roi en vigueur abattit sur sa propre fille une malédiction, qui supputait que si elle osait faire perpétuer sa lignée, celle-ci serait marquée du sceau fatal, qui condamnerait l’enfant à la mort, si lui-même mettait au monde de nouveaux traîtres, de nouveaux descendants. Mais jusqu’à présent, il était étonnant de constater que personne n’avait préféré mourir vieux sans laisser d’enfants, plutôt que de perpétuer sa descendance. Gabriel était de ceux-ci. Orphelin à cause de cette malédiction, il avait croisé la route d’Eden tout à fait par hasard alors que celle-ci voulait découvrir le monde des humains, à peine soutenue par ses parents, les actuels roi et reine du royaume d’Elanoé. La jolie rousse avait reconnu la marque du son avant bras pour avoir été élevée dans sa terreur qu’une de ses sœurs un jour trouve un jour le moyen de faillir aux traditions des sirènes. Elle en avait été traumatisée. Se faire bannir de sa famille, se voir enlever sa couronne, déshonorer son peuple et décevoir son père était une chose qu’elle ne voulait jamais se risquer à faire. Très portée sur l’honneur, et élevée dans la pure tradition, il lui était impensable de passer à l’acte, mais avait un grand respect pour son ancêtre, Cléophée, qui avait dérogé aux règles par amour.
Les sirènes étaient très strictes, évidemment. C’était un peuple tout à fait pacifique, mais… L’honneur et le respect étaient des valeurs à conserver et à ne surtout pas trahir. Sous peine de mourir ou de se voir maudire, comme ce fut le cas pour Cléophée et ses descendants.

Mais pour l’heure, Eden ne voulait pas y penser. En chemin pour la bibliothèque, où elle avait donné rendez-vous à Gabriel pour un débriefing de début d’année, elle songeait surtout à la joie qu’elle allait ressentir lorsqu’elle allait pouvoir le serrer dans ses bras. Elle l’avait vu la veille, mais trop rapidement. C’était surtout pour lui donner son cadeau avant de partir pour son dortoir. La jeune femme avait passé l’été sans lui. Elle était retournée comme convenu dans sa famille, et y avait passé ses deux mois. Elle avait toutefois laissé l’adresse d’un petit cottage non loin de chez elle, à la surface en Australie, et y allait régulièrement pour lire les lettres de Gabriel et y répondre. Leur relation était tenue secrète. Evidemment, elle avait parlé à sa famille de ses amis, et de ce qu’elle avait découvert d’intéressant chez les humains, mais elle ne voulait pas qu’ils sachent qu’ils étaient aussi proches, et surtout, la véritable nature du jeune homme. Pour ses parents, c’était un humain tout à fait normal qui n’avait rien à voir avec eux. C’était préférable que cela reste ainsi. Pour plus de sécurité.
En attendant, elle avait hâte de tout lui raconter. Sans pouvoir s’empêcher de continuer à sourire, elle passa les lourdes portes en bois de la bibliothèque, et se dirigea droit dans le fond, en adressant un signe de tête au passage à la bibliothécaire.

En passant devant les rayons, Eden toucha du bout des doigts les ouvrages qui remplissaient les étagères, mais sans y accorder plus d’attention. Fébrile, elle attendait, surtout. Elle se savait un peu en avance, mais ce n’était pas grave, elle saurait patienter. Du moins un peu. Ce n’était pas réellement dans ses habitudes de trépigner autant. Gabriel avait réellement pris une place considérable dans sa vie.
Finalement, la jolie rousse se dirigea vers une table, tira la chaise et s’y assit, incapable de rester debout. Elle savait parfaitement que sinon elle ne tiendrait pas en place, et n’arrêterait pas de tourner en rond, comme un poisson dans son bocal, et elle trouvait la comparaison bien peu flatteuse.
Claquant des ongles sur le bois verni des tables, elle attendait impatiemment la venue de Gabriel. C’était incroyable, tout de même, jamais auparavant elle ne s’était mise dans un tel état pour quelqu’un. D’ailleurs, ses parents lui avaient fait remarquer son changement lorsqu’elle était revenue de l’école, pour l’été.

Son époux aussi, avait été heureux de la retrouver, d’ailleurs…

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Enfin. Il était arrivé. Elle ne le vit pas tout de suite, un peu absorbée dans ses considérations. Il était encore et toujours en retard, mais cette fois là, elle avait envie de le pardonner sans ronchonner. Ils se retrouvaient enfin réellement pour la première fois depuis deux mois, il était hors de question de gâcher une seule minute de leur précieux temps à faire la tête, surtout que le beau Gabriel était inchangeable, et qu’elle n’aurait essayé de changer ses habitudes pour rien au monde. Elle l’aimait tout juste comme il était. Puis, dans un mouvement gracieux et ample, fidèle à elle-même, la jolie sirène se leva, et n’eut pas à attendre une seconde de plus pour que le Gryffondor se jette sur elle pour la serrer dans ses bras. Elle qui n’avait jamais été très démonstrative, avait dernièrement revu sa conception des contacts physiques, notamment, surtout, voire même uniquement, avec Gabriel. Elle était tellement bien dans ses bras qu’elle avait dû admettre qu’il était bon d’y passer le plus clair de son temps.
Elle savait que des rumeurs couraient, mais elle n’en avait cure. Ceux qui étaient les plus proches d’eux savaient bien la vérité et c’était tout ce qui comptait. Les cancans de l’école ne les intéressaient pas tellement, ils avaient leur propre bulle, bien à eux, et c’était parfait ainsi.

« Eden… Tu m’as tant manqué. »

La jolie rousse ne répondit qu’en resserrant un peu leur étreinte. Les deux jeunes gens avaient une communication formidable, qui consistait parfois à ne dire que le strict minimum. Souvent, un simple regard entre eux était nécessaire à leur bonne compréhension, et c’était parfois un avantage, parfois un inconvénient. Lorsqu’ils auraient aimé ne pas impliquer l’autre dans leurs vagues à l’âme, par exemple, pour le protéger. Mais c’était tellement plus pratique et plus intime, pour communiquer.
Ils se décollèrent un peu, le sourire aux lèvres. Les prunelles bleu saphir d’Eden pétillaient sans retenue, et elle ne faisait aucun effort pour retenir son enthousiasme. Elle avait vite appris que c’était inutile de feindre, avec Gabriel. Pourtant, elle avait été réservée, les premiers temps, un peu secret, un peu distante. Mais évidemment, il l’avait apprivoisée. Et en un sens, elle ne le regrettait absolument pas. Il lui avait offert bien plus, pour compenser cette vague d’affection et de tendresse qui avait émané d’elle.

« En fait, merci pour ton cadeau d’hier soir. J’avoue avoir été surprit mais j’ai passé une bonne partie de la nuit à le lire. Si mes résultats scolaires sont en baisse cette année, je te tiendrai pour responsable. J’espère que ça te plaira, jolie sirène. »

Eden acquiesça doucement, heureuse que son cadeau lui ait plût. Elle l’avait ramenée de sa propre bibliothèque. La bibliothèque impériale. L’ouvrage avait une grande valeur, tant sentimentale que matérielle, car il était l’une des reliques de son peuple. La plupart de leurs traditions étaient consignées là dedans. Bien sûr, il n’était pas réellement sacré au sens d’indispensable dans leur vie de tous les jours –c’était aussi pour cela qu’elle avait pris la liberté de le prendre- mais il était tout de même important. C’était un cadeau d’un sorcier dévoué au peuple des sirènes, offert il y avait quelques dizaines d’années de cela. Le livre était donc relativement récent, mais extrêmement complet et détaillé. A défaut de ne pouvoir l’emmener avec elle dans son monde, dans sa vie, Eden trouvait juste de le tenir relativement informé de ce qu’il s’y passait. Après tout, elle avait souvent souhaité, durant cet été passé loin de lui, qu’il soit avec elle, même doté d’une queue de sirène. Elle l’avait imaginé une fois, en rêve, et cela l’avait plutôt perturbé. C’était peut-être à ce moment là qu’elle avait réalisé combien il lui manquait, et combien le temps était long sans lui.
Elle voulait lui faire découvrir les traditions de son peuple, partager avec lui une part de ce qu’elle était. C’était aussi sur cette notion que reposait leur complicité, leur amitié, leur amour mutuel. La complicité, le partage.

Eden récupéra le paquet de la main de Gabriel, d’un regard un peu interrogateur mais impatient, heureuse que son meilleur ami ait également pensé à elle. Elle fit durer la chose plusieurs minutes, voulant enlever le papier avec soin et sans le déchirer là où d’autres auraient tout simplement déballé l’objet et fait une boule du papier cadeau. Au contraire, la jolie princesse des eaux gardait ce genre de choses. C’était tout autant de souvenirs qu’elle pourrait ramener chez elle lorsqu’il lui faudrait retourner d’où elle venait. Elle collectionnait les plus infimes choses. De coquillages aux bouts de tissus qui s’étaient malencontreusement découpés de sa robe de bal de fin d’année, elle y accordait une attention immense.
Une fois que le paquet fut déballé, elle ouvrit la boîte à l’intérieur, et son cœur se serra. Le bracelet à la pierre de lune. Ils l’avaient admiré tous deux lors d’une promenade sur le chemin de Traverse, mais Eden avait du rejoindre son peuple peu de temps après, et n’avait pu l’acheter. Elle savait que ce bijou aurait entraîné toutes sortes de questions. Il était capital pour elle de retourner auprès de ses parents dans l’état exact où elle était partie, pour pouvoir prétendre se plaire sur le monde des humains sans pour autant réellement s’y attacher au point d’en ramener des souvenirs ou d’en porter des traces sur elle, sous l’océan.

« Par Triton tout puissant… »

En voulant effleurer la pierre, elle avait été traversée de souvenirs. Gabriel et elle dansant au bal de fin d’année, leurs séances d’études où ils s’étaient chamaillés comme des frères et sœurs, certaines de leurs conversations, de leurs étreintes, leurs deux mains se séparant puis se rejoignant. Eden dut se mordre la lèvre pour ne pas laisser une larme s’échapper de ses yeux bleus lagon. Elle était définitivement trop sensible, et son meilleur ami était trop attentionné, trop… merveilleux, avec elle.
Elle posa le paquet sur la table, prenant soin de remettre le collier à l’intérieur pour ne pas le laisser tomber avec sa maladresse légendaire, et passa les deux bras autour du cou de Gabriel, brièvement mais passionnément, déposant un léger baiser dans son cou. Elle savait qu’il comprendrait sa reconnaissance et son émotion sans qu’elle ait besoin de dire un seul mot. Sans aucun doute, elle était profondément touchée par l’attention admirable du jeune homme. Elle s’écarta de lui, reprit le collier entre ses longs doigts fins, et se tourna, de façon à se retrouver dos à lui, lui tendant un bout du magnifique bijou pour qu’il l’attache autour de son cou. Elle releva ses cheveux élégamment, et soupira, avec une once d’amusement dans la voix :

« Est-ce que je suis une fille indigne si je dis que j’aime autant être avec toi qu’avec ma famille ? »

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