Rabastan leva machinalement le main devant sa bouche pour étouffer un bâillement. Il en avait plus qu'assez de cette mascarade agaçante qui ponctuait chaque rentrée, ce trajet en train particulièrement long et inutile, le débarquement bruyant et bordélique dans la gare de Pré-au-Lard ainsi que la fin du chemin dans ces diligences du siècle dernier tirées par des Sombrals lugubres. Un bon transplanage aurait été cent fois plus efficace, plus rapide et moins épuisant, mais évidemment c'était impensable. Comme le disait si justement le volume de l'Histoire de Poudlard, on ne peut pas transplaner dans l'enceinte de l'école. Excepté le bureau du directeur mais le jeune Lestrange se voyait assez mal débarquer là bas avec sa valise et sa baguette, innocemment. Quoi que. L'image était cocasse et il esquissa un léger sourire tout en laissant retomber son bras le long de son corps. Tournant légèrement la tête, il jeta un coup d'oeil rapide sur sa voisine aux cheveux d'ébène. Elana ne semblait pas vouloir sortir de son mutisme borné, depuis qu'elle avait discuté de manière plutôt énergique avec le rejeton rebelle de la famille Black. Il faut dire que la dispute avait été mauvaise. Dans tous les sens du terme. Sirius avait manqué de répartie et Elana ne s'était pas montré aussi mordante qu'elle pouvait l'être. On aurait dit un mauvais film, avec de mauvais acteurs et des dialogues de sourds. Mais bien entendu, le grand Lestrange avait gardé ça pour lui et n'avait pas tenté de briser le silence obstiné de son amie.

Enfin, le carrosse obscur s'arrêta doucement devant le perron de l'école et Rabastan se leva souplement. Il était toujours impressionnant de voir comment un type aussi massif et musclé que lui arrivait à se déplacer avec souplesse, élégance et légèreté. Il savait parfaitement se faire discret, se fondre dans une foule ou dans un décor et il lui était déjà arrivé à plusieurs reprises de manquer de tuer quelqu'un en provocant une crise cardiaque, surgissant de l'ombre d'un mouvement brusque ou bien étudié pour le suspens. Il adorait ça. Pour l'heure, il descendit de l'habitacle sans la secouer, même si il se rehaussa légèrement une fois qu'il fut sur le pavé détrempé de la cour de l'école. Il avait plu toute la journée et encore maintenant, une fine bruine venait se poser sur l'uniforme sombre du jeune homme. Machinalement, dans un geste qui pouvait passer pour de la galanterie délicate, il tendit une main pour aider Elana à descendre. Elle l'accepta sans lui adresser un regard et finit par sauter à terre. Presque aussitôt, la diligence s'ébranla et s'éloigna pour quitter le périmètre de la cour, repassant sous la voute en pierre donnant sur le parc pour se diriger vers la lisière de la forêt interdite, plus précisément vers la cabane du garde chasse.

Sans plus y accorder d'attention, Rabastan enfonça les poings dans les poches de son pantalon et entreprit de gravir les marches du perron pour enfin pénétrer dans le hall, sans même vérifier que la jeune femme aux cheveux d'ébène le suivait.

Lorsqu'il entra dans l'immense entrée, il esquissa une grimace de dégoût. C'était l'anarchie chez les élèves. Les premières années, minuscules élèves aux physionomies effrayées et intimidées, se faisaient bousculer par tous les autres, plus habitués au rituel de rentrée. L'air vibrait d'un bourdonnement incessant, dû aux conversations animées, aux exclamations de joies, aux cris, aux grognements ... Ce n'était qu'un chaos sans nom, une foule détraquée qui se pressait dans tous les sens, anéantissant le peu d'espace qu'il aurait pu rester pour se frayer un passage jusqu'à la grande salle, dont la voute était visible sur le mur latéral droit.. Poussant un soupir agacé, le grand Lestrange entreprit de fendre la masse humaine, de son pas assuré et puissant. Véritable armoire à glace, les élèves s'écartaient tous sur son passage, lui laissant ce qu'il fallait de place pour qu'il puisse marcher sans frôler qui que ce soit. Mais alors qu'il avançait dans le sillon qui se creusait devant lui, une jeune femme rousse recula au même instant et vint le percuter de plein fouet, dans le torse. Un peu surpris, il s'arrêta tout net et tendit machinalement les bras pour la retenir alors qu'elle semblait basculer en avant, droit vers les dalles grises du sol. Refermant vivement les doigts autour de ses avants bras, il la redressa et attendit qu'elle ait récupéré son équilibre pour la lâcher.

Là, il l'observa attentivement. D'abord, il avait cru avoir affaire à Lily Evans. Mais maintenant qu'il l'avait en face de lui, il se rendit compte qu'il s'était trompé. Elle était plus jeune, plus douce, plus candide. Un peu plus timide aussi. Ses traits, délicats et fins, n'avaient rien à voir avec la physionomie volontaire et assurée de la brillante gryffondor qu'il connaissait. Il continua à la dévisager sans parler, un peu étonné de rencontrer une nouvelle qui paraissait n'être pas en première année.